Ce que j’ai commis avec les deux dernières a été une rupture. J’ai définitivement quitté le monde des Hommes, et même pas rejoint le monde animal. Même un animal ne ferait pas ça, sciemment ou pas. Ce qui s’est passé est normalement indicible pour le monde des vivants, et je ne suis même pas certain que si l’enfer existe, il s’y passe ce qui s’est passé cette nuit-là, ni même si cet enfer, aussi effroyable soit-il, accepterait d’accueillir quelqu’un qui a fait ce que j’ai fait. S’il y a un endroit pour quelqu’un comme moi, c’est encore plus bas, plus profond, plus abyssal.
La voisine, celle que j’imaginais dans mes pires scénarios sanglants, m’avait laissé sa fille à garder. Mortelle erreur. C’est comme si une boucle se refermait. Elle était ma première envie de sang, elle deviendrait ma dernière en vie tout court. Aussitôt qu’elle fut partie, ce qui arriva était comme déjà écrit. Il n’y a même pas eu le petit coup de pression du genre : « – J’ai oublié les clés. » Où bien « – Je suis rentré plus tôt. ». Non. Rien de tout ça. Tout s’est déroulé sans que rien n’empêche leurs funèbres destins.
La 1re heure, je suis descendu loin en moi. Je suis allé chercher des ressources inhumaines pour résister. C’était comme une énorme bulle qui grossissait dans mon ventre et qui englobait jusqu’à ma tête. Je me demandais ce qui allait se passer quand la bulle éclaterait ? Elle était dans sa chambre, endormie, seule, et moi assis sur un fauteuil, pensant à elle, seul, écoutant la voix :
« – Elle s’appelle Léna, elle a 14 mois, et je dois la protéger.
– Elle s’appelle Léna , elle a 14 mois, et tu dois la tuer. »
Je ne savais toujours pas qui était cette voix, mais elle m’avait avalée. Je n’étais déjà plus ici. J’étais ailleurs, dans un autre monde terrifiant car je savais ce qui allait se passer :
« – Je ne dois pas aller dans sa chambre et la réveiller.
– Tu dois aller dans sa chambre et la réveiller. »
Je suis allé dans sa chambre, dans le noir, et je l’ai portée sur la table à langer. Elle s’est réveillée et s’est mise à pleurer. Je ne ressentais plus rien. Mon âme était juste un vide insondable. J’’entendais juste cette voix, sinistre, dans le noir :
« – Je ne dois pas la frapper pour qu’elle arrête de pleurer.
– Tu dois la frapper pour qu’elle arrête de pleurer. »
Je lui ai donné une violente claque pour qu’elle se taise. Elle ne bougeait plus. J’avais l’impression de planer au-dessus du sol. Comme si mes pieds ne le touchait plus. Probablement l’effet de l’épinéphrine dans mon cerveau. Et toujours cette voix sibylline :
« – Je ne dois pas la tuer avant que sa mère arrive.
– Tu dois la tuer avant que sa mère arrive. »
J’avais trouvé un ciseaux dans un tiroir. Je l’ai enfoncé dans son sexe. Brutalement. C’est rentré sans résistances. Tout était noir : son sang, ses organes qui se répandaient sur la table à langer, l’éther. Même la voix me semblait encore plus sombre :
« – Je ne dois pas la montrer à sa mère et la tuer aussi.
– Tu vas lui montrer et la tuer aussi. ».
J’étais assis sur un fauteuil, dans le salon, dans le noir. J’attendais sa mère. Je sentais la voix proche, tapie dans l’ombre, prête à ordonner.
La mère arriva :
« – Ça va ? Lena dort ?
– Oui, elle dort. Bien. »
Quand elle se tourna pour aller vers la chambre de sa fille, je la frappai sur la tête avec un fer à repasser qui se trouvait sur la table. Elle tomba au sol. Je l’allongeai sur le canapé. Elle émergea en même temps que la voix :
« – Je ne dois pas lui montrer sa fille.
– Va chercher sa fille et montre lui. »
Je me rendis dans la chambre et ramenai sa fille morte. Son regard, semi-conscient, se brisa en la voyant. Une larme roula sur sa joue. Elle essaya de dire son prénom, mais la douleur l’avait rendue aphone. Je posai le corps sur la petite table devant elle. La voix me semblait étrange, plus abstruse que d’habitude :
« – Je ne vais pas la violer et l’étrangler.
– Viole là et étrangle là. »
Je la déshabillai, la violai, puis l’étranglai avec le cordon du fer à repasser. Ses yeux ne quittèrent pas un instant le corps de sa fille posé à quelques centimètres de son visage. Quand elle fut morte, j’allongeai Léna à côté d’elle, la voix semblant presque brisée :
« – Tout est terminé.
– Suicide toi. »
En fouillant dans la salle de bains, j’avais trouvé une boîte de Kazépam pleine. J’avalai les 30 cachets avec un verre d’eau et m’assis dans le fauteuil. Je m’endormais paisiblement, en me sentant quitter le monde des Homme. La voix était toujours là :
« – C’est comme ça que ça finit alors ?
– Oui, c’est comme ça que ça fini.
– Tu resteras avec moi ?
– Oui, je resterais avec toi.
– Pour toujours ?
– Oui. Pour toujours. »
FIN