Un flic anonyme, nuiteux, nous raconte ses nuits parfois légères, parfois dramatiques, parfois atroces… Tant que la nuit continue…
Cette histoire est fictionnelle.
Le « Je » est imaginaire et ne renvoie à aucune personne existante.
Je suis flic. Nuiteux. Presque un cliché ! Habillé en noir le plus souvent, des Rangers, une veste longue noire, manque plus que le Stetson et le Colt ! En l’occurrence, je n’ai pas un colt, j’ai un Beretta 7.65. Je pense que c’est bien suffisant pour calmer la marmaille que je côtoie. J’ai choisi ce taf en me disant que c’était cool qu’il n’y est pas de routine, ne jamais savoir ce qui allait se passer, et je suis servi ! À donf ! Donc, là, ça va continuer sur le genre flic de ciné : je viens d’amener une femme à l’hosto, pas blessée physiquement, juste dans un état stuporeux alcoolo-cannabique scandaleux, qui va y passer la nuit, à l’hosto. Ces deux mômes de 9 et 12 ans sont seuls chez elle avec une nounou de 17 ans » – totalement demeurée » selon elle ! J’ai appelé la baby-sitter et dès la première seconde, j’ai compris qu’en effet, elle avait l’air bien demeurée : cette baby-tarée-sitter m’a demandé si je savais comment marchait la cheminée ? C’est un frisson d’effroi qui me traversa l’esprit quand elle m’expliqua avec sa voix de crécelle qu’elle ne trouvait pas de feu mais qu’il y avait de l’essence à briquet et des cubes de barbecue ! Je vous avez dit que cet appartement se trouvait au 4ème étage d’un vieux bâtiment, et que cette même cheminée n’avait pas du être allumée depuis … Plus vieux que vous et moi ? Quand je vous disais qu’il n’y avait pas de routines dans ce taf. Je résume : je ramasse une maman hippie totalement à l’envers dans la rue, ses bambins sont seuls avec une gamine nounou tarée et dangereuse, et cette même baby-psycho est sur le point de foutre le feu à l’appart avec eux tous dedans ! Quand nous sommes arrivés, non seulement elle avait déjà mis les cubes imbibés d’essence dans la cheminée, mais aussi un tas de trucs : des bouquins, des plantes, une petite chaise en bois, et c’est encore une fois avec un (gros) frisson d’effroi que nous apprîmes l’ultime : elle avait trouvé un allume-gaz dans la cuisine. Si cet appareil que je trouve une ode au génie humain avait approché ce tas de merde, je pense que la vitesse de combustion nous aurait tous transformé en merguez trop cuites ! Les deux pecs étaient morts de rire, et elle, elle était juste figée avec un sourire niais sur le visage, assise sur le canapé ! Personne n’a trop cuit, les chiards sont toujours crus, la nounou tarée aussi, affaire classée. Voilà une de mes petites aventures résumée de flic de nuit, et ça fait 7 ans que ça dure ! « Vive la Police »! La nuit continue…
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Je me souviens d’un gars sur un banc. Alors là vous vous dites : « – ok un gars sur un banc… Pas très original ça ? ». Sauf quand vous saurez où était le banc… Et donc le gars ! Le banc était posé en parallèle du vide, sur le toit d’un bâtiment, sur le muret de sécurité: dessus ! Et je pense que vous avez toutes et tous bien compris où était le « gars » ? Oui, oui, il était bien… Allongé sur le banc ! Je suis monté sur le toit par les escaliers. Rien de très original dans sa position : divorce, alcool, drogue, chômage, état déplorable… Mais encore la conscience de tout ça, alors choix de stopper ou pas ? Il a choisi de stopper. Il s’est simplement allongé sur le coté droit, a attendu quelques secondes, et il s’est laisser avaler par le vide. La nuit continue…
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Est-ce qu’on s’habitue ? Non. On apprend juste à déterminer le temps qu’il va falloir tenir pour résoudre telle affaire. Une fois résolue, on peut y repenser, craquer dessus, mais pas avant. Si vous êtes arrivés jusque-là dans cette histoire, c’est que vous voulez probablement savoir ce que j’ai vu de pire en 7 ans de nuit, 2556 nuits depuis le jeudi 11 septembre 2014, 22 heures. 1re nuit. 1 suicide, 3 cartons voitures, 1 homicide : 4 coups de couteau, sur la même personne, gorge. Je ne crains pas la vue du sang, dès cette première nuit, j’ai su que je ne craignais pas la vue du sang ! Ensuite, nous avons tous nos sensibilités propres. Des affaires qui nus toucheront plus que d’autres. Et ça, vous le savez tout de suite. Dès que vous avez des infos sur où vous arrivez, vous savez déjà à peu près à quoi vous attendre. Mais pas toujours ! Parfois, ça déraille sévère ! Et des info, y en n’a pas ! Et cette nuit du dimanche 11 août 2019 au lundi 12 août 2019 allait dérailler… Sévère, donc. Très !
« – Katina 1 d’Autorité.
– Transmettez Autorité.
– Un appel pour une DC (*Dispute Conjugale), 3 rue Jacques Blin, apparemment deux personnes, voir trois dont une enfant, dans une maison, ça crie, pas d’antécédents.
– Reçu, on va aller voir, on est dans le coin.
– Reçu. Terminé. »
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« – Autorité de Katina 1.
– Transmettez Katina 1.
– Nous sommes 3 rue Jacques Blin, le Dimanche 11 août 2019, il est 23:24, nous sommes entrés dans la maison de l’enfer. Nous n’oublierons jamais cette nuit.
– Ça va ?
– Non ! »
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« – C’est moche !
– C’est le moins qu’on puisse dire.
– Damien est rentré chez lui, il est pas mal secoué.
– L’enfer existe.
– Faut revenir.
– Pour ces gens, l’enfer existe, et il ne méritait pas de s’y retrouver, personne ne mérite ça.
– Faut décrocher, lâche prise.
– Ouais… La nuit continue… »
À qui voulez-vous que je raconte ça ? Ce qui est arrivé à ces gens ? Lui a fini 1 balle dans la tête. Il y a une forte différence entre arriver sur une scène de crime passé, figé, et sur une scène de crime actuelle, ici et maintenant. Quand nous sommes arrivés devant la porte avec mon collègue, Damien, il n’y avait plus de cris, mais des bruits étranges. Déchirures, brisures, coups… Nous avons sonné. Pas de réponse. Nous nous sommes annoncés : « – Police ! ». Pas de réponse. Toujours ces étranges bruits étouffés. Nous avons posé la main sur nos armes et j’ai tenté d’ouvrir la porte d’entrée. Pas verrouillée. J’ai sorti mon arme et l’ai mis le long de ma jambe. J’ai ouvert la porte et je suis entré en m’annonçant une deuxième fois : « – Police, il y a quelqu’un ? ». Pas de réponse. Les mêmes bruits, mais maintenant, je savais d’où ils venaient. De la cuisine. On avance en Y. Damien connaît bien cette technique. Je rentre le premier et je sécurise les pièces à droite et à gauche, en avançant au fur et à mesure, pendant qu’il protège le couloir. J’arrive à la cuisine. La lumière est faible. Il y a bien quelqu’un. Cette situation est une des plus risquée qui soit en intervention. Vous vous êtes annoncés plusieurs fois, la personne qui est dans la cuisine, la pièce la plus dangereuse d’une maison, le sait, et a décidé, probablement sciemment, de ne pas répondre à vos sollicitations. Je suis sur le côté de la porte, à droite, dos au mur, je tiens mon arme à deux mains dirigé vers le bas. Damien est face à moi, son arme dirigé vers la porte. Je nous réanonce encore « – c’est la Police, nous allons devoir entrer dans cette pièce, vous voulez me répondre ? ».
Pas de réponse.
Nous allons devoir entrer. Damien se décale et glisse face à la porte, toujours son arme de face. Son regard change. Quelque chose change. Je l’ai ressenti.
Le tableau est le suivant :
– Elle est allongée sur la table de la cuisine, nue, la tête tournée sur le côté gauche, le cou posé sur la plaque en bois d’une trancheuse à pain. Manuelle. Et au bout de cette lame manuelle, il y a lui. Qui a la main posée sur le manche. Nous ne saurons jamais s’il a su qu’il l’avait fait. Damien a tiré. Sa tête a explosé quasi au même moment où la tête de sa désormais ex-femme s’est détachée de son corps. Une balle de 9 mm parcourt environ 300 m/s. Il a eu le temps d’appuyer sur la lame. Toute sa rage, sa haine et sa folie expulsées en si peu de temps. Elle a regardé Damien, il me l’a dit. Elle l’a regardée après, pendant quelques secondes avant de mourir. Il y a un paramètre que je ne vous ai pas encore donné, c’est ce genre de « détails » qui fait la différence entre la peur et la terreur. Sur la table, à côté de la tête de sa désormais ex-femme, à droite, il y avait la tête tranchée de leur fille, les yeux ouverts, un étrange sourire sur le visage, tourné vers sa maman. Le travail sur la scène de crime a été très compliqué, techniquement et humainement. La maison de l’enfer pour elles, l’enfer de la maison pour nous. Encore une fois, j’essayais de calculer si le temps que je tiendrai suffirait pour faire mon taf. Il a suffi. La nuit continue…
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Dans la psyché populaire, un policier à un pistolet ! J’en ai un ! Et souvent, la psyché populaire se demande si le policier avec le pistolet s’en est déjà servi, du pistolet ? Oui, je m’en suis déjà servi. « – Tu as déjà tiré sur quelqu’un ? – Oui, j’ai déjà tiré sur quelqu’un. – Il est mort ? – Oui, il est mort. ». Celui d’en haut, c’était la première fois que Damien abattait quelqu’un. Légitime défense. Moi, c’était un braquage. Un truc de merde qui a… Merdé !
« – Katina 1 d’Autorité
– Transmettez Autorité
– Braquage en cours Drugstore des Lampes, deux gars, armes de poings, légères, y a du monde, c’est agité
– Reçu, on va voir, on est pas loin
– Reçu. Terminé. »
On arrive et oui, ça merde. Un bordel inimaginable. Des gens qui braillent, qui court, qui tombent. Eux deux dedans, apparemment armés, qui pètent les plombs ! Je suis arrivé sur le côté de l’entrée. J’ai bien vu les deux gars et apparemment un seul armé. Un petit calibre. Et je vois aussi le fameux et bien connu « héros », qui ne sait pas encore qu’il va mourir pour avoir voulu sauver ses bouteilles de pastis ! Il pense donc qu’il peut se permettre de se jeter sur le seul mec pas armé des deux ! Bravo ! Très malin ! Évidemment, le mec armé lui tire dessus, et moi sur le mec armé. Ils sont morts tous les deux, et pas moi, ni l’autre. Je n’ai pas sauvé le gars, Damien n’a pas sauvé la femme, mais nous avons abattus les deux auteurs. Légitimes défenses expéditives. La nuit continue…
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« – Katina 1 d’Autorité
– Transmettez Autorité
– Une bagarre café des sports, un couteau signalé, pas de blessés pour le moment, le mec est devant la porte, 3 personnes plus lui à l’intérieur, peut-être une PDO (*Prise d’otages).
– Reçu, on va voir, on est sur le boulevard Raspail.
– Reçu, terminé. »
Il n’avait pas qu’un couteau. Il a tiré sur un des otages, désormais définis comme tels. Nous sommes arrivés après deux autres équipages sur les lieux. Il a tiré après qu’ils se soient annoncés. Notre première priorité va être de récupérer l’otage blessé. Nous sommes 6 en tout, je ne comprends pas pourquoi d’autres renforts n’arrivent pas, mais je n’ai pas, nous n’avons pas le temps de réfléchir, car il vient d’abattre un otage. Une balle directement au milieu du front ! Il sait tirer !!! Il lui a tiré dessus alors qu’il se trouvant face au mur, face à la vitrine, il voulait que nous le voyions faire. Toujours pas de renforts. Il n’y a pas de négociations possibles. Ou plus. En cas de PDO, l’enchaînement est clair et posé : au moindre coup de feu du ou des preneurs d’otages, il faut les neutraliser si possible non-létalement. Au premier coup de feu sur un otage, le tir de riposte passe en légitime défense et devient létal. Nous devons donc l’abattre pour sauver le dernier otage, et nous espérons l’otage blessé. Vu que le troisième à le cerveau en soupe Liebig sur le mur en face de la porte, on ne pourra plus rien faire pour lui !
Nous analysions tous les alentours avec le même dépit. C’est comme si tout était prévu pour nous emmerder pour intervenir. Le bar est entouré de deux impasses. Chaque côté du bar donnant sur ces impasses est vitré ! La façade est une vitrine ! Putain, mais c’est quoi ce bar ? Y a que des vitres ! Dois se faire chier à les nettoyer le serveur, ou la serveuse, ou je ne sais pas qui ! Nous sommes 6, donc ce seront 2 dans chaque impasse, et deux sur la façade. Lui est apparemment sur le côté de la porte, au seul endroit pas du tout vitré : les toilettes ! Il s’est passé quelque chose qui a rendu tout ça juste… Inutile ! Il est sorti lui-même avec l’otage devant lui, « en protection » pensions-nous. Non, non. Il lui a collé une balle dans la tête, sur la tempe gauche, puis a laissé tomber le corps. Il a dirigé l’arme vers nous, nous l’avons abattu, 12 balles. 2 coups chacun. L’otage blessé n’a pas survécu. L’otage vivant plus vraiment. Affaire classée. La nuit continue…
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« – Katina 1 d’Autorité
– Transmettez Autorité
– Un appel cause indéterminée, pas précise, 2 Rue Droite. La femme à l’air apeurée, elle dit qu’elle est seule avec sa fille et qu’elle a peur quand son mari va rentrer. Elle a trouvé des trucs sur son PC « atroces ». C’est tout ce qu’elle a dit.
– Reçu. On va aller voir.
– Reçu. Terminé. »
Nous sommes arrivés chez cette femme apeurée vers 2:15. En pleine nuit. Dès qu’elle a répondu et nous à ouvert la porte, j’ai vu immédiatement qu’elle était choquée. Je l’ai compris immédiatement, car elle tenait par la main sa petite fille d’environ 10 ans, en tremblant. Il était 2:15, et elle avait réveillé sa fille en pleine nuit, qu’elle tenait par la main en tremblant. C’est bien que ça avait l’air sérieux. Je lui ai demandé si elle était seule avec sa fille dans la maison. Elle m’a répondue oui. Nous sommes entrés, avec précautions et sécurité, car l’inquiétude visible de cette femme avec sa fille, en pleine nuit, avec la peur que son mari rentre, m’avait mis en alerte. Damien est resté en protection à la porte concernant le mari. Nous nous sommes rendus dans le salon et nous sommes assis sur deux petits canapés, face à face, séparés par une petite table basse. Jolie maison, grande, bien meublée, bien tenue. Au bout de quelques minutes, elle m’a juste dit : « – J’ai quelque chose à vous montrer. ». Elle a demandé à sa fille de remonter dans sa chambre. Ce qu’elle a fait. Puis elle m’a dit : « – j’ai trouvé ça, c’est très choquant, je préfère vous prévenir. ». Puis elle a soulevé l’écran du PC portable qui se trouvait sur la petite table nous séparant, et l’a tourné vers moi. J’ai bien entendu compris immédiatement de quoi il s’agissait, car les images ne laissaient planer aucun doute quant à ce qui s’y déroulait. Et oui, c’était très choquant, et je compris alors mieux la terreur de cette femme qui découvre ça sur le PC de son mari en pleine nuit. Je lui demandais si elle savait où il se trouvait à cet instant. Elle me répondit que : « – Non, pas précisément. ». Nous allions devoir le trouver.
« – Autorité de Katina 1
– Transmettez Katina 1
– Un avis de recherche urgent.
Je transmets sa photo et son identité en E-mail.
– Reçu. Des détails ?
– Pédophilie aggravée sur le PC. Téléchargement.
– On reste sur place pour l’accueillir s’il revient.
– Reçu. Terminé. »
Une patrouille l’a finalement serré au volant de sa voiture, en ville. Ils l’ont ramené au commissariat. Quand je l’ai vu, j’ai été frappé par le fait qu’il était aussi inquiet et apeuré que l’était sa femme, qui refusait de le voir, quelques heures plus tôt. Il avait l’air minable en fait. À cet instant, sachant déjà un peu son pedigree, ayant vu qu’il n’était pas dans le besoin, une belle maison, une femme, une fille, un travail… Mais là, à cet instant, le voir aussi faible et honteux, je le trouvais juste… Minable. Les images étaient vraiment très violentes, pour autant qu’il puisse y avoir un degré dans l’horreur. Disons que ce n’était pas simplement du sexe, il y avait aussi des tortures, et je ne doutais pas qu’il y ait pire que ça. Je tiens à rendre hommage au techniciens informatiques de la Police scientifique qui doivent, pour les besoins des enquêtes, regarder et analyser ces images. Le peu que j’en ai vu dans la maison est persistant dans ma mémoire. Ce n’est que, et exclusivement violent. Ces types d’images et de vidéos ne peuvent qu’être violentes. Même si les pervers qui tournent ça savent parfois tourner l’image de telles sortes que les victimes semblent avoir un consentement, il n’y en a pas, il n’y en a aucun. L’idée elle-même est violente. Et ce gars, d’apparence de vie parfaitement banale, rangé, marié, papa, téléchargeait ce type d’images et de vidéos. Je pense que ne serait ce que la démarche de télécharger « ça », de le regarder, c’est déjà être un danger pour la société. Et c’est minable. On l’a eu. La nuit continue…
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À suivre tant que la nuit continue…